Si l’énergie se conserve, comment peut-on produire ou économiser de l’énergie ?
Nous entendons partout que nous consommons trop d’énergie et que nous vivons actuellement la pire crise énergétique de l’ère industrielle, autant dire de l’histoire de l’humanité.
En bons citoyens que nous sommes, nous faisons donc tous au quotidien de petites actions pour « économiser l’énergie ».
Toutefois, on a tous entendu la fameuse phrase attribuée à Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Et ceux qui ont croisé le fer avec la thermodynamique se souviennent de son principe fondateur qui est que « l’énergie se conserve ». À partir de là, comment peut-on alors économiser, voire même produire, de l’énergie si elle se conserve ?
En fait, il y a 2 types d’énergie : l’énergie utilisable et l’énergie inutilisable. Leur somme est constante, mais seule l’énergie utilisable est, comme son nom l’indique, utile.
L’énergie utilisable est celle qui peut être utilisée pour réaliser un « travail », par exemple, faire avancer une auto ou faire tourner une turbine. Le travail est ce que l’on mesure en Joule ou en Calorie, exactement comme sur un vélo stationnaire ou le rameur de la salle d’entraînement.
L’énergie inutilisable est celle qui est émise sous forme de chaleur et qui est ultimement « perdue », c’est‑à-dire non récupérée pour être utilisée. « Perdre de l’énergie » sous forme de chaleur n’est pas un problème lorsque l’on fait du rameur pour perdre du poids ; mais de l’énergie est aussi « perdue » au cours des processus d’extraction ou de transformation industrielles : extraction du charbon ou raffinage du pétrole, par exemple. En d’autres termes, si l’on consomme 40 calories pour extraire du charbon qui produira à son tour 100 calories, lorsque brûlé, le gain net n’est que de 60 calories.
En plus des pertes durant les étapes de transformation, il y a aussi des pertes à l’utilisation. Par exemple, seulement 15 % de l’énergie produite par une ampoule à incandescence est émise sous forme de lumière, le 85 % restant est ici encore « perdu » sous forme de chaleur. Certains diront que cette énergie n’est pas totalement perdue puisqu’elle chauffe la pièce. À quoi nous pourrions répondre que c’est peut-être le cas en hiver, mais si l’on climatise les soirs d’été pour compenser cette chaleur produite par l’ampoule, il n’y a aucun gain sur l’année! De même, pour un moteur à combustion, seulement 30 à 40 % de l’énergie chimique emmagasinée dans l’essence est au final transformée en énergie mécanique utile pour déplacer le véhicule. Le reste est perdu, entre autres, sous forme de chaleur ou de friction.
Les scientifiques ont donc introduit un concept pour différencier l’énergie utilisable de l’énergie « perdue » que l’on appelle l’entropie.
Quand on parle « d’économiser l’énergie », on parle en fait de ralentir la transformation de nos ressources en énergie inutilisable.
Commençons par la mauvaise nouvelle : on ne peut pas empêcher l’entropie d’augmenter. À chaque extraction, transformation ou utilisation, il y a une « perte nette » sous forme d’énergie inutilisable. On peut visualiser cela par le fait qu’en freinant pour immobiliser votre auto, vos disques de freins s’échauffent et cette chaleur est perdue (en tant qu’énergie utilisable).
La bonne nouvelle est que l’on peut toutefois freiner la vitesse d’augmentation de cette énergie inutilisable par des choix énergétiques judicieux. C’est ici qu’entre en jeu le principe de rendement énergétique. Reprenons l’exemple de l’ampoule à incandescence et son 15 % d’énergie émise sous forme de lumière comparé à son 85 % d’énergie émise sous forme de chaleur. Comme nous utilisons l’ampoule pour nous éclairer et non pour se chauffer, son rendement énergétique (la partie utile) n’est que de 15 %. Les ampoules fluocompactes, quant à elles, ont des rendements qui peuvent aisément atteindre 75 %, soit 5 fois plus qu’une ampoule à incandescence. C’est d’ailleurs ce qu’indiquent les manufacturiers lorsqu’ils mentionnent qu’une ampoule fluocompacte de 13 W (qui consomme donc 13 joules par seconde) offre le même rendement qu’une ampoule à incandescence de 60 W (60/13 = ± 5). Notons que pour simplifier l’exemple, nous ne prenons pas ici en compte l’impact des processus de fabrication ou de recyclage, mais uniquement la vie utile du produit.
Quand on parle « d’économiser l’énergie », on parle en fait de ralentir la transformation de nos ressources en énergie inutilisable : en chaleur.
La difficulté du concept énergétique est que l’énergie n’est pas palpable.
Faisons un parallèle entre le rendement énergétique et un produit de consommation physique, moins abstrait, tel qu’un panier d’épicerie. Utiliser un appareil avec un rendement énergétique de 15 % équivaut à jeter 85 % de son panier d’épicerie en sortant du magasin, et n’en garder que 15 %. Ou encore, acheter 7 fois plus que ce dont on a besoin et jeter systématiquement l’excédent chaque semaine. Cela ne fait aucun sens, mais c’est pourtant la triste réalité d’encore beaucoup de systèmes énergivores autour de nous.
On peut freiner l’augmentation de l’énergie inutilisable par des choix énergétiques judicieux.
Les lois physiques nous disent que l’on ne peut ni produire ni économiser de l’énergie dans sa globalité puisque sa quantité est constante… mais nous pouvons cependant l’utiliser de façon plus efficace en privilégiant les systèmes à grande proportion d’énergie libre et ainsi ralentir la production d’énergie inutilisable.
Parmi les systèmes de choix, on trouve les énergies dites « renouvelables » : principalement le soleil, le vent et l’eau. Ici encore le terme est mal choisi ; il s’agit en fait d’énergie à grande disponibilité et ne nécessitant pas ou peu de transformation primaire, mais elles ne sont toutefois pas renouvelables. Si nous voulions par exemple remonter 1 litre d’eau dans un barrage après l’avoir utilisé, cela nous coûterait plus d’énergie que celle récupérée lors du passage initial de celitre d’eau dans la turbine. Ici encore, le résultat net serait « négatif », soit une augmentation de l’énergie inutilisable (l’entropie). Les énergies dites « renouvelables » sont en fait des sources d’énergie accessibles, abondantes et à faible production d’entropie… mais pas renouvelables !
En résumé, bien qu’il n’existe pas d’énergie renouvelable et que nous ne pouvons pas empêcher, et encore moins inverser l’augmentation de l’entropie, nous pouvons toutefois infléchir sa courbe d’augmentation principalement de 3 façons :
- En utilisant des sources d’énergie nécessitant peu ou pas de transformation ;
- En améliorant le rendement de nos équipements ;
- En modifiant nos habitudes de consommations.
En somme, on ne peut pas économiser l’énergie… mais on peut freiner l’augmentation de l’énergie inutilisable par l’utilisation d’équipements à plus haute efficacité énergétique !
David Rousseau, M.Sc. Chimiste
Expert scientifique
Chargé de projet senior